Comprendre les Dépendances Comportementales : Au-delà du Comportement Lui-même

Avant d’explorer la solution, il est essentiel de cerner la nature de ces dépendances. Une dépendance comportementale n’est pas simplement une mauvaise habitude. C’est un besoin compulsif et irrépressible de s’engager dans un comportement malgré les conséquences négatives qu’il entraîne. La personne ressent une perte de contrôle, une préoccupation obsessionnelle pour l’activité, et des symptômes de sevrage (irritabilité, anxiété) en cas d’impossibilité de s’y adonner.

Contrairement aux dépendances aux substances, où une molécule externe agit sur le cerveau, les dépendances comportementales activent le circuit de la récompense du cerveau par le comportement lui-même. La décharge de dopamine procure un plaisir fugace, une échappatoire temporaire à une douleur émotionnelle, un vide intérieur, ou une anxiété sous-jacente. C’est ici que la psychanalyse entre en jeu : elle ne se contente pas de regarder le comportement, elle cherche à comprendre ce qu’il masque.

Freud lui-même, bien avant l’apparition de nos écrans modernes, avait mis en lumière les mécanismes de la répétition compulsive, où l’individu rejoue inconsciemment des scénarios douloureux pour tenter de les maîtriser ou de les résoudre. Les dépendances comportementales sont souvent des manifestations de cette compulsion de répétition, des tentatives maladroites de combler un manque, d’exprimer une souffrance refoulée, ou de reproduire une dynamique relationnelle passée. Derrière l’écran, le pari, l’achat, se cachent des conflits inconscients, des blessures narcissiques, des carences affectives ou des angoisses existentielles.

La Psychanalyse face aux dépendances : Plonger dans l’inconscient

La psychanalyse offre une approche unique en ne se focalisant pas uniquement sur la modification du comportement, mais en cherchant à en comprendre la fonction inconsciente. Elle part du principe que le symptôme (la dépendance) a un sens et qu’il est une tentative, bien que dysfonctionnelle, de résoudre un problème interne.

Le travail analytique vise à :

1. Mettre en Lumière les Conflits Inconscients : La dépendance peut être une manière d’éviter de faire face à des émotions refoulées (colère, tristesse, honte), à des désirs inavoués, ou à des traumatismes oubliés.
2. Explorer l’Histoire Personnelle : Les premières expériences de l’enfance, les dynamiques familiales, les figures parentales, jouent un rôle fondamental dans la construction de nos modes de fonctionnement et de nos vulnérabilités aux dépendances.
3. Comprendre les Mécanismes de Défense : La dépendance peut être une défense contre l’angoisse, une forme d’auto-apaisement ou une tentative de contrôle illusoire face à un sentiment d’impuissance.
4. Travailler sur le Manque et le Désir : La dépendance est souvent une quête de satisfaction immédiate pour un désir qui n’a pas pu être nommé ou satisfait autrement. La psychanalyse aide à articuler ce manque et à découvrir d’autres voies pour le désir.
5. Reconstruire le Sujet : En donnant du sens au symptôme, la psychanalyse permet à l’individu de se réapproprier son histoire, de renforcer son Moi et de développer de nouvelles stratégies d’adaptation. Il s’agit de transformer la compulsion en un choix éclairé, la souffrance en une croissance personnelle.

La Visio : Un Atout Inattendu pour la Psychanalyse et les Dépendances

L’idée d’une psychanalyse en ligne peut initialement sembler paradoxale pour une discipline traditionnellement associée au divan et à la proximité. Pourtant, la visio a révélé des avantages surprenants, particulièrement dans le contexte des dépendances comportementales.

1. Accessibilité et Réduction des Obstacles :

   • Géographique : La visio abolit les distances. Que vous soyez dans une zone rurale, à l’étranger, ou simplement loin d’un cabinet, l’accès à un analyste qualifié devient possible. C’est crucial pour des personnes qui, en raison de leur dépendance (agoraphobie liée au jeu, anxiété sociale due aux écrans), peuvent avoir du mal à sortir de chez elles.

   • Temporel : Les horaires peuvent être plus flexibles, facilitant l’intégration des séances dans un emploi du temps chargé, évitant ainsi un prétexte pour ne pas consulter.

   • Psychologique : Pour certaines personnes souffrant de dépendances et de la honte associée, l’environnement familier de leur domicile peut réduire la pression initiale et la gêne, facilitant le premier pas vers la thérapie. L’écran crée une légère distance protectrice.

2. Le Cadre et la Continuité :

   • Contrairement aux idées reçues, le cadre analytique peut être maintenu en visio. L’analyste et l’analysant définissent des règles claires (lieu calme, absence de distractions, respect des horaires).

   • La continuité des soins est un atout majeur. En cas de déplacement, de maladie, ou d’imprévu, les séances peuvent se poursuivre sans interruption, ce qui est vital pour ne pas briser le fil de la pensée et le processus thérapeutique face à une dépendance qui cherche toujours des failles.

3. La Déréalisation et la Dépersonnalisation : Un Espace pour les Aborder :

   • Les personnes souffrant de dépendances comportementales peuvent parfois expérimenter des phénomènes de déréalisation (le monde semble irréel) ou de dépersonnalisation (sentiment d’être étranger à son propre corps ou à ses émotions). Paradoxalement, la légère distance qu’offre l’écran peut parfois être un espace de transition sécurisant pour aborder ces sensations. L’analysant peut se sentir plus en sécurité pour explorer ces états dissociatifs depuis son propre environnement contrôlé, plutôt que de les ressentir dans un cabinet inconnu. La visio offre une “bulle” où ces ressentis peuvent être déposés et travaillés.

4. Le Rapport au Corps et à l’Intimité :

   • Bien que l’absence physique puisse sembler un inconvénient, elle peut aussi déplacer le focus de l’analysant. Moins préoccupé par le langage corporel de l’analyste ou par le décor du cabinet, il peut davantage se concentrer sur son propre monde intérieur, sur la voix de l’analyste, et sur les associations libres qui émergent. La voix devient le principal lien, ce qui peut renforcer l’écoute et l’introspection.

   • Pour les dépendances liées à la honte corporelle ou à des problématiques d’intimité, la visio peut offrir un sentiment de sécurité initial, permettant d’aborder des sujets délicats avec moins d’appréhension.

Le Processus Thérapeutique en Visio : Du Comportement au Sens

Le cheminement en psychanalyse en visio pour les dépendances comportementales suit les mêmes principes fondamentaux qu’en présentiel, mais avec quelques ajustements subtils :

1. L’Établissement du Cadre et de la Confiance : La première étape est la création d’un espace sécurisant où l’analysant se sent libre de parler. L’analyste sera attentif à l’environnement de l’analysant pour s’assurer qu’il est propice au travail (intimité, calme).

2. L’Association Libre : L’analysant est encouragé à dire tout ce qui lui vient à l’esprit, sans censure. C’est à travers ce flux de pensées que les liens inconscients entre la dépendance et les conflits intérieurs commencent à émerger. Par exemple, un joueur compulsif pourrait parler d’une angoisse d’abandon non résolue, qu’il tente d’apaiser par le frisson de la perte et du gain.

3. L’Interprétation et la Mise en Sens : L’analyste écoute attentivement, repère les schémas, les répétitions, les lapsus, les rêves. Il propose des interprétations pour aider l’analysant à prendre conscience des motivations inconscientes de son comportement addictif. Par exemple, une personne dépendante aux achats pourrait découvrir qu’elle tente de recréer l’excitation d’un cadeau inattendu de l’enfance, ou de compenser un sentiment de vide.

4. Le Travail sur le Transfert : La relation avec l’analyste devient un miroir des relations passées et présentes de l’analysant. Les émotions, les attentes, les frustrations vécues avec l’analyste (le transfert) sont analysées, offrant une opportunité de comprendre et de modifier les dynamiques relationnelles sous-jacentes à la dépendance. La visio, avec sa légère distance, peut parfois faciliter une forme de transfert moins directe, laissant plus de place à la projection interne.

5. La Traversée de la Résistance : La dépendance est souvent une résistance au changement. L’analysant peut inconsciemment s’accrocher à son comportement addictif car il représente une forme de sécurité ou d’échappatoire connue. La psychanalyse aide à traverser ces résistances, à affronter la douleur ou l’angoisse que la dépendance cherchait à masquer.

Les Limites et les Considérations Éthiques de la Visio

Bien que prometteuse, la psychanalyse en visio n’est pas dénuée de défis :

• Le Non-Verbal : Certaines nuances du langage corporel peuvent être moins perceptibles à l’écran, bien qu’un analyste expérimenté développe une acuité particulière à l’écoute de la voix et des pauses.

• Les Situations d’Urgence : En cas de crise majeure ou de risque pour la sécurité du patient, la distance physique peut rendre l’intervention plus complexe. Il est essentiel que l’analyste ait un protocole clair pour ces situations.

• L’Environnement de l’Analysant : Il doit pouvoir garantir un espace d’intimité et de confidentialité pour la durée de la séance.

• La Fracture Numérique : L’accès à un équipement fiable et à une bonne connexion internet peut être un obstacle pour certains.

Cependant, les professionnels adaptent leurs pratiques, et les avantages l’emportent souvent sur les inconvénients, surtout lorsque l’accès à une aide qualifiée est autrement limité.

Conclusion : Vers une Libération Durable

Surmonter une dépendance comportementale est un processus exigeant qui demande courage et persévérance. La psychanalyse, enrichie par les possibilités offertes par la visio, propose un chemin unique : celui de la compréhension profonde. En plongeant dans les profondeurs de l’inconscient, en dénouant les fils des conflits passés et des émotions refoulées, elle permet à l’individu de ne pas simplement arrêter un comportement, mais de se libérer de la nécessité intérieure qui le pousse à cette répétition.

La visio n’est pas une simple “béquille” temporaire, mais un outil qui peut amplifier l’accessibilité et l’efficacité de cette exploration thérapeutique. Elle offre un espace où la parole peut circuler, où les liens peuvent être tissés, et où le sujet peut se réapproprier son histoire pour construire un avenir plus libre, moins contraint par les chaînes invisibles des dépendances. C’est un chemin vers une liberté durable, non pas en contrôlant un symptôme, mais en le comprenant et en le transformant en une source de connaissance de soi.