Le lien complexe entre traumatisme et troubles alimentaires

Les troubles alimentaires (TA) sont des affections complexes et multifactorielles, souvent enracinées dans une combinaison de facteurs génétiques, psychologiques, environnementaux et sociaux. Parmi les causes profondes qui peuvent déclencher ou exacerber ces troubles, le traumatisme occupe une place prépondérante. Qu’il s’agisse d’un événement unique et brutal (accident, agression, catastrophe naturelle) ou de traumatismes répétés (abus, négligence chronique, violences intrafamiliales), l’impact sur la relation à la nourriture et au corps peut être dévastateur. Face à cette intrication complexe, la psychothérapie en ligne émerge comme une solution d’accompagnement de plus en plus pertinente et accessible.

Le lien complexe entre traumatisme et troubles alimentaires

La nourriture et le corps peuvent devenir des outils de gestion, de survie ou d’expression face à un traumatisme non résolu. Comprendre ce lien est essentiel pour un accompagnement thérapeutique efficace.

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La nourriture comme mécanisme de coping

Après un traumatisme, la personne peut se sentir submergée par des émotions intenses : peur, colère, honte, culpabilité, tristesse, anxiété extrême. Face à cette dérégulation émotionnelle, la nourriture peut être utilisée comme un mécanisme de coping (d’adaptation).

  • Restriction alimentaire (anorexie, boulimie) : Contrôler l’alimentation ou son poids peut procurer un sentiment illusoire de maîtrise dans un monde qui semble hors de contrôle. C’est une tentative de restaurer un sentiment de puissance perdu. La perte de poids peut aussi être une manière de “disparaître”, de se rendre invisible, ou de se protéger d’une vulnérabilité perçue.

  • Crises de boulimie et hyperphagie : Manger de grandes quantités de nourriture, souvent de manière compulsive et sans faim, peut servir à engourdir la douleur émotionnelle, à anesthésier les pensées intrusives ou les flashbacks. La sensation de plénitude ou de malaise physique après une crise peut temporairement remplacer la douleur psychique.

  • Comportements compensatoires : Les vomissements, l’abus de laxatifs ou l’exercice excessif peuvent être des tentatives désespérées de purger les émotions négatives associées au traumatisme, ou de compenser la sensation de perte de contrôle liée aux crises.

    • Le corps comme réceptacle du traumatisme

       

      Le corps est souvent le lieu où le traumatisme est vécu et stocké. Pour les personnes ayant subi des abus physiques ou sexuels, le corps peut devenir une source de dégoût, d’étrangeté ou de danger. Les troubles alimentaires peuvent alors être une tentative de :

      • Dissociation : Se déconnecter de ses sensations corporelles, voire de son propre corps, pour échapper aux souvenirs douloureux ou à la sensation d’être “habité” par le traumatisme.

      • Punition : Infliger des souffrances au corps comme une forme d’auto-punition ou pour exprimer une haine de soi internalisée.

      • Modification corporelle : Transformer son corps de manière à ne plus ressembler à la personne qu’on était au moment du traumatisme, ou à le rendre moins “désirable” pour éviter de futures agressions.

La psychothérapie en ligne : une réponse adaptée aux enjeux du traumatisme et des TA

L’accompagnement des troubles alimentaires liés au traumatisme est un processus délicat et de longue haleine. La psychothérapie en ligne, bien qu’ayant ses spécificités, offre des avantages considérables pour cette population.

1. L’accessibilité et la réduction des barrières

Pour les personnes souffrant de troubles alimentaires et/ou de traumatismes, le simple fait de se rendre à un cabinet peut être une épreuve. L’anxiété sociale, la honte liée aux symptômes, la fatigue intense, les difficultés de transport, ou le fait de vivre dans des zones isolées sont autant de freins. La thérapie en ligne supprime ces barrières :

  • Confort du foyer : Le patient peut consulter depuis un environnement familier et sécurisant, ce qui est particulièrement apaisant pour les personnes traumatisées qui ont besoin d’un sentiment de sécurité.

  • Flexibilité : Les rendez-vous peuvent être plus facilement ajustés aux contraintes d’emploi du temps, permettant une régularité essentielle à ce type de thérapie.

  • Anonymat et discrétion : Pour beaucoup, l’idée de parler de leurs troubles alimentaires ou de leur traumatisme en face-à-face est intimidante. La distance de l’écran peut offrir un sentiment de sécurité et de discrétion, facilitant l’ouverture.

2. Des approches thérapeutiques éprouvées, adaptées au format en ligne

Plusieurs approches thérapeutiques reconnues pour les TA et le traumatisme peuvent être efficacement adaptées au cadre en ligne :

  • Thérapie cognitive et comportementale (TCC) : Elle est très efficace pour identifier et modifier les schémas de pensée et comportements dysfonctionnels liés aux troubles alimentaires. En ligne, le thérapeute peut guider le patient à travers des exercices, des fiches de travail et des techniques d’exposition progressive.

  • Thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) : Axée sur l’acceptation des pensées et émotions difficiles tout en s’engageant dans des actions alignées avec ses valeurs, l’ACT est bien adaptée pour aider à rompre le cycle des évitements liés au traumatisme et aux TA.

  • Thérapie basée sur la pleine conscience : Des exercices de pleine conscience, de respiration et de méditation guidée peuvent être pratiqués efficacement en ligne pour aider à réguler les émotions, à se reconnecter au corps de manière bienveillante et à gérer les impulsions.

  • Soutien psychologique pour le traumatisme : Bien que des thérapies spécifiques au traumatisme comme l’EMDR nécessitent souvent des adaptations pour le format en ligne, d’autres approches centrées sur le traumatisme peuvent être explorées, visant à stabiliser le patient, à développer des ressources de coping et à retraiter les souvenirs traumatiques de manière progressive et sécurisée.

3. La continuité des soins et le soutien régulier

Le traitement des troubles alimentaires et des traumatismes exige une approche cohérente et un soutien régulier. La thérapie en ligne facilite cette continuité, même en cas de déplacement ou de contraintes physiques. La possibilité de consulter régulièrement un même thérapeute, qui a une connaissance approfondie de l’histoire du patient, est un atout majeur pour construire une relation thérapeutique solide et de confiance, indispensable à la guérison du traumatisme et à la stabilisation des troubles alimentaires.

Les défis et les précautions à prendre

Malgré ses nombreux avantages, la psychothérapie en ligne pour les troubles alimentaires et le traumatisme n’est pas sans défis et nécessite des précautions.

  • Sécurité et confidentialité : Il est primordial de s’assurer que la plateforme utilisée est sécurisée et que la confidentialité des échanges est garantie.

  • Gravité des troubles : Pour les cas de troubles alimentaires très sévères (sous-poids extrême, comorbidités psychiatriques graves, risque suicidaire élevé), un suivi en présentiel et une équipe pluridisciplinaire (médicale, nutritionnelle, psychiatrique) restent souvent indispensables. La thérapie en ligne peut alors compléter mais pas remplacer ce suivi intensif.

  • Connexion thérapeutique : Bien que possible, l’établissement d’une connexion thérapeutique forte peut demander plus de temps ou d’efforts en ligne pour certains patients.

  • Environnement du patient : Le thérapeute n’a pas un accès direct à l’environnement du patient, ce qui peut limiter certaines observations cliniques.


Conclusion : Une voie prometteuse pour la guérison

La psychothérapie en ligne représente une avancée significative dans l’accompagnement des troubles alimentaires chez l’adulte, particulièrement lorsque ceux-ci sont liés à un traumatisme. Elle offre une porte d’accès à des soins essentiels pour des personnes qui, autrement, n’auraient pas pu les obtenir. En combinant l’expertise thérapeutique avec la flexibilité et le confort du cadre virtuel, elle permet de créer un espace sécurisant et propice à la guérison.

Bien qu’elle ne remplace pas toujours une prise en charge en présentiel pour les cas les plus complexes, elle constitue une alliée précieuse pour initier, maintenir et approfondir un travail thérapeutique vital. Pour les personnes souffrant en silence, elle est une lueur d’espoir, leur offrant la possibilité de comprendre le lien entre leur passé traumatique et leur relation à la nourriture, et d’entamer un cheminement vers une relation plus saine avec leur corps et avec eux-mêmes.